PREMIER PAS SUR L’ATLANTIQUE
Deux Britanniques, Alcock et Brown, relient en seize heures et vingt-sept minutes le Nouveau Monde à l'Ancien Continent. Le ler avril 1913 (en Angleterre, ce jour n'est pas celui des canulars et autres farces traditionnelles), lord Northcliffe offrit un prix de 10 000 livres sterling à la première personne qui traverserait en avion, et sans escale, l'océan Atlantique. Une proposition de cette importance, moins de dix ans après le vol historique des frères Wright, ne pouvait être le fait que d'un visionnaire doué d'un extraordinaire sens prophétique. Mais, malgré les énormes problèmes posés par un vol de cette sorte, plusieurs pilotes ainsi que certains constructeurs entrèrent en lice et relevèrent le défi.
Le déclenchement de la Première Guerre mondiale contraignit lord Northcliffe à retirer son offre pour la durée des hostilités; mais dès le mois de juillet 1918, la victoire des Alliés étant en vue, le roi de la presse britannique réitéra sa proposition. Quatre jours exactement après la signature de l'Armistice, la presse annonça que la course à l'Atlantique. Était de nouveau ouverte, dans le but de stimuler la production de moteurs plus puissants et d'appareils mieux conçus.
Le challenge comportait toutefois certaines conditions durée maximale de soixante-douze heures pour la traversée; tolérance d'un seul amerrissage en cours de route et veto formel à la participation d'avions ou d'équipages de nationalités (ennemies). Cette compétition était en outre réservée aux pilotes civils et, juge impartial et suprême, le Royal Aero Club était invité à superviser toutes les demandes d'engagement. Aucune restriction ne frappait le choix de l'itinéraire, est-ouest ou ouest-est, à condition que le vol fût direct.
Une fin peu flatteuse pour un vol historique: le Vimy d'Alcock et Brown termine sa carrière dans le marais de Derrygimia en Irlande.
En conséquence, plusieurs constructeurs américains et européens se mirent immédiatement à l'œuvre dans le but de construire un appareil spécifiquement conçu pour accomplir cette traversée.
Mais la société Vickers Aviation possédait déjà un avion susceptible de réaliser cette performance : le Vickers (Vimy), un bombardier bimoteur conçu en 1917 comme appareil à long rayon d'action capable de bombarder le territoire allemand. Le prototype vola pour la première fois en novembre 1917, et la production démarra dans le courant de l'année suivante.
En l'occurrence, un seul Vimy arriva en France au mois d'octobre 1918, trop tard pour participer au combat. Un exemplaire de cet avion, propulsé par deux Rolls-Royce Eagle VIII développant 360 ch chacun, fut débarrassé de son équipement militaire en vue de tenter la traversée de l'Atlantique. La capacité en carburant fut notamment portée à 3 9001, ce qui donna au Vimy une autonomie d'environ 4 000 km. L'équipage théorique de trois personnes fut réduit à deux, et le cockpit fut réaménagé de manière à placer les deux sièges côte à côte.
Des volontaires
Le 11 mars 1919, un pilote de la RAF démobilisé de la veille pénétrait dans les bureaux de la maison Vickers, à Brooklands. Le Captain John Alcock (DSC) ne tarda pas à convaincre les dirigeants de Vickers qu'il était l'homme de la situation. Né à Manchester en 1892, Alcock avait reçu une formation d'ingénieur, avant de passer, le 26 novembre 1912, son brevet de pilote d'avion (n° 368 anglais).
Au cours des deux années qui suivirent, il devait faire preuve de qualités de courage équivalentes à son aptitude au pilotage. Lorsque la guerre éclata, il se porta volontaire dans le Royal Naval Air Service, où il fut mobilisé comme instructeur pendant près de trois ans. On finit par lui accorder ce qu'il demandait depuis longtemps : en 1917, il fut envoyé sur le front d'Orient. Le 30 septembre de cette même année, il fut descendu, en mer, aux commandes d'un bombardier Handley (Page) et retenu prisonnier par les Turcs jusqu'à la fin des hostilités.
Près de trois semaines après la demande d'Alcock auprès de Vickers, l'homme qui devait être son compagnon devant l'histoire, alla frapper à la même porte pour demander à voler sur le Vimy. Arthur Whitten Brown, né à Glasgow en 1886, avait travaillé chez Westinghouse avant de rejoindre le Manchester Regiment à la déclaration de guerre.
En 1915, il passa dans le Royal Flying Corps (ancêtre de la RAF) comme observateur, poste où, le 10 novembre de la même année, il fut descendu avec son avion dans les lignes allemandes. Il resta prisonnier jusqu'au milieu de l'année 1918, profitant de sa captivité pour étudier la navigation et d'autres spécialités aéronautiques. A son retour, il entra dans l'industrie des moteurs d'avions.
Préparatifs hâtifs
Le temps commençait à presser, car de nombreux concurrents étaient alors plus avancés dans la mise au point des derniers détails. Afin de réduire le plus possible la durée du vol au-dessus de l'eau, il fut décidé de partir d'un point situé à Terre-Neuve, ce qui permettait, en outre, de bénéficier des vents d'ouest dominants. Il était alors vital de faire très vite.
Le 18 avril 1919, Alcock effectua un bref vol d'essai de l'appareil choisi, et, satisfait de ses performances, il prit la tête de l'équipe de treize personnes désignées pour partir à Terre-Neuve. L'élément précurseur, comprenant Alcock et Brown, partit pour le Nouveau Monde le 4 mai, tandis que le Vimy, en caisse, suivait dans un cargo. Arrivés à Terre-Neuve le 13 mai le Vimy arriva le 26.
Le cockpit du Vimy tel qu'on peut le voir aujourd'hui
Alcock et Brown eurent quelques difficultés à trouver un site, jusqu'au moment où un autre candidat à la traversée, malheureux celui là, leur offrit généreusement le terrain de Quidi Vidi pour remonter le Vimy.
Les travaux commencèrent immédiatement, malgré l'obligation de travailler sous une simple bâche, qui protégeait mal des dernières rigueurs de l'hiver. Le problème de la piste d'envol ne fut résolu que lorsqu'un fermier, M. Lester, mit ses champs à la disposition de l'équipe Vickers, et, le 9 juin, Alcock put effectuer, un bref vol d'essai aux commandes du Vimy remonté Trois jours après, il fit un deuxième et dernier essai avant d'affronter l'Atlantique. Enfin, le samedi 14 juin 1919, à 13 h 24 exactement Alcock mit les contacts, fit chauffer ses moteurs et dirigea son biplan jaune pâle surchargé vers l'extrémité du champ de Lester.